Un déséquilibre énergétique croissant réchauffe la Terre
ProClim Flash 76
La quantité d’énergie contenue dans le système climatique mondial croît massivement et de plus en plus vite, ce qui accentue le réchauffement. Le récent rapport du GIEC documente ces graves changements par des mesures satellitaires et terrestres et par des sondages océaniques.
Texte: Martin Wild, EPF de Zurich
Le climat de la Terre est déterminé en premier lieu par l’énergie solaire qu’elle absorbe et celle qu’elle restitue dans l’espace sous la forme de rayonnement thermique (voir figure). Si ce bilan énergétique est neutre, c’est-à-dire si la quantité d’énergie solaire absorbée est égale à celle réémise sous forme thermique, le système climatique est en équilibre : la température moyenne sur la Terre serait constante dans cet état. Or même les plus petits déséquilibres ont des répercussions sur le contenu énergétique de ce système et ainsi sur les températures sur la planète. Des modèles climatiques montrent qu’un déséquilibre entre énergies absorbée et émise d’à peine un quart de pour cent suffit pour entraîner les changements climatiques que nous connaissons aujourd’hui.
Petit déséquilibre, grand excédent d’énergie
Un écart d’un quart de pour cent ne semble pas beaucoup, mais si l’on considère les chiffres absolus, il apparaît clairement qu’une énorme quantité d’énergie est en jeu : l’excédent annuel d’énergie est de 12 zettajoules (soit 12 fois 1021 joules), ce qui correspond à environ 400 térawatts, soit en gros 500 000 fois la quantité d’énergie produite par une centrale nucléaire suisse moyenne. Ce déséquilibre est la grandeur la plus fondamentale pour caractériser et quantifier les changements climatiques. En effet, comparée à la mesure de la température globale à la surface de la Terre, l’approche par le bilan énergétique présente l’avantage de ne pas être asservie à d’aussi fortes fluctuations et donc de mieux mettre en évidence les changements.
C’est pourquoi le suivi de ces flux d’énergie a une haute priorité. Depuis les années 1980, des projets – au départ l’« Earth Radiation Budget Experiment (ERBE) » – ont pour objectif de mesurer l’échange d’énergie entre la Terre et l’espace au moyen de satellites. Toutefois, cela n’est effectué en continu depuis l’espace qu’à partir du début du millénaire, par la mission « Clouds and the Earth’s Radiant Energy System (CERES) » de la NASA. La précision de ces données satellitaires, de l’ordre de 1 à 2 %, n’est pas suffisante pour déceler la valeur absolue de déséquilibres d’une fraction de pour cent, mais elle permet néanmoins de mesurer les changements de ce déséquilibre.
Des milliers de bouées mesurent l’apport d’énergie dans l’océan
Pour déterminer la valeur absolue du déséquilibre, la recherche climatique a besoin d’un système de mesure complémentaire. À ce propos, il faut garder à l’esprit que l’océan stocke 93 % de l’excédent d’énergie absorbée. Grâce à des milliers de bouées de mesure, que l’on fait descendre plusieurs fois par mois dans les profondeurs de l’océan, il est possible de relever des profils de température verticaux. Ceux-ci permettent de déterminer l’énergie accumulée dans les océans et, partant, de calculer en première approximation l’ampleur du déséquilibre.
Sur la base de ces mesures de température, le nouveau rapport sur le climat estime que 435 zettajoules d’énergie se sont accumulés dans le système climatique depuis les années 1970. En outre, nous constatons que cette augmentation n’a cessé de s’accélérer au cours des dernières décennies.
Le facteur à l’origine de cette accumulation d’énergie est l’effet de serre anthropique, qui renforce indirectement l’absorption du rayonnement solaire, car une rétroaction positive fait que l’élévation des températures entraîne une diminution des nuages et des surfaces de glace. Notre planète devient ainsi plus « sombre » et absorbe donc davantage d’énergie solaire. Conséquence : le climat se réchauffe encore plus. Cette augmentation de l’énergie solaire absorbée dans le système climatique apparaît aussi bien dans les simulations du climat que dans les observations du programme satellitaire CERES.
Des changements également mesurables à la surface de la Terre
Les changements affectant les flux d’énergie ne sont pas détectés seulement depuis l’espace ou dans les profondeurs des océans : ils apparaissent également dans notre environnement immédiat. Le récent rapport sur le climat nous apprend par exemple que le rayonnement solaire qui arrive à la surface de la Terre n’a pas été constant au cours des dernières décennies, mais qu’il a connu des variations substantielles. Des années 1950 aux années 1980, de nombreuses stations de mesure ont enregistré dans le monde entier une diminution du rayonnement solaire incident. Ce phénomène, connu sous le nom d’assombrissement global (« global dimming »), était dû à l’augmentation générale de la pollution atmosphérique durant cette période : les particules de poussière en suspension dans l’air – appelées également aérosols – faisaient de plus en plus écran au rayonnement solaire. Depuis la mise en œuvre réussie des mesures de protection de l’air dans les années 1980, avant tout dans les pays industrialisés, la tendance s’est inversée en maints endroits vers davantage de rayonnement solaire incident. Ces conclusions reposent en grande partie sur des données collectées à l’EPF de Zurich dans les archives du bilan énergétique mondial (GEBA) (voir à ce sujet l'article de GCOS Schweiz).
Ces modifications du rayonnement solaire à la surface de la Terre, que signifient-elles pour les changements climatiques ? Comme le détaille le récent rapport sur le climat, elles ont des répercussions sur une multitude d’aspects climatiques qui touchent de près les bases de notre existence ; elles influencent par exemple les taux de réchauffement planétaire, l’intensité du cycle hydrologique mondial, le recul des glaciers ou la croissance végétale y compris son importance en termes de stockage de carbone. La diminution du rayonnement solaire incident pendant les années 1950 à 1970 a, dans une certaine mesure, masqué l’augmentation de l’effet de serre : celui-ci ne s’est manifesté dans toute son ampleur que depuis les années 1980, après l’inversion de tendance du rayonnement. Les glaciers alpins, par exemple, n’ont reculé que depuis ce moment, alors qu’ils n’avaient pratiquement pas changé pendant les décennies précédentes du fait de l’assombrissement global.
Les modifications globales des flux d’énergie du système climatique, telles que mises en évidence dans le récent rapport sur le climat, constituent le moteur fondamental des changements climatiques auxquels nous sommes de plus en plus fortement confrontés aujourd’hui. D’où l’importance que prend le suivi de ces flux d’énergie : il contribue en effet à une meilleure compréhension des changements climatiques et à leur quantification. Mais assurer à long terme ce suivi laborieux est un défi. La mission CERES touche lentement à sa fin – mais heureusement, la NASA s’apprête à prendre le relais avec la mission LIBERA qui devrait, à partir de 2026, poursuivre les mesures des flux d’énergie depuis l’espace et dont l’EPF de Zurich est également partenaire.
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Martin Wild est professeur à l’Institut pour l’atmosphère et le climat de l’EPF de Zurich. Dans le 6e Rapport d’évaluation du Conseil mondial du climat, il est l’un des auteurs principaux des chapitres sur le bilan énergétique de la Terre, les rétroactions climatiques et la sensibilité au climat.
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Dr. Martin Wild
ETH Zürich
Institute for Atmospheric and Climate Science (IAC)
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8092 Zürich